Le Chien

Formé pour le conduire et pour le protéger
Du troupeau qu'il gouverne, il est le vrai berger.
Le ciel l'a fait pour nous, et dans leur cour rustique,
Il fut des rois-pasteurs le premier domestique.
Redevenu sauvage, il erre dans les bois :

Qu'il aperçoive l'homme, il rentre sous ses lois,
Et par un vieil instinct qui jamais ne s'efface,
Semble de ses amis reconnaître la trace.
Gardant du bienfait seul le doux ressentiment,
Il vient lécher ma main après le châtiment.
Souvent il me regarde ; humide, de tendresse,
Son œil affectueux implore une caresse ;
J'ordonne, il vient à moi ; je menace, il me fuit ;
Je l'appelle, il revient ; je fais signe, il me suit ;
Je m'éloigne, quels pleurs ; je reviens, quelle joie !
Chasseur sans intérêt, il m'apporte sa proie ;
Sévère dans la ferme, humain dans la cité,
Il soigne le malheur, conduit la cécité ;
Et moi, de l'hélicon malheureux Bélisaire,
Peut-être un jour ses yeux guideront ma misère.
Est-il hôte plus sûr, ami plus généreux !
Un riche marchandait le chien d'un malheureux ;
Cette offre l'affligea : « Dans mon destin funeste,
Qui m'aimera, dit-il, si mon chien ne me reste? »
Point de trêve à ses soins, de borne à son amour ;
Il me garde la nuit, m'accompagne le jour ;
Dans la foule étonnée, on l'a vu reconnaître,
Saisir et dénoncer l'assassin de son maître ;
Et, quand son amitié n'a pu le secourir,
Quelquefois sur sa tombe il s'obstine à mourir.

Delille.