L'ours, le chien et le chat - Conte russe

Il était une fois un paysan qui avait un bon chien. Mais le chien devint vieux. Il ne pouvait plus aboyer ni assurer la garde de la cour et des granges. Le paysan ne voulait plus nourrir cette bouche inutile. Il le chassa de la ferme. Le chien s'enfuit dans la forêt et se coucha sous un arbre pour mourir. Soudain, arriva un ours, qui lui demanda :

- Mais pourquoi es-tu couché ici, chien ?

- Je meurs de faim ! Tu vois la justice des hommes d'aujourd'hui ! Tant que tu as de la force, ils te nourrissent et ils te donnent à boire, mais quand la vieillesse te retire tes forces, ils te mettent tout simplement à la porte !

- Chien, alors tu veux manger ?

- Et comment !

- Allez, viens avec moi, je vais te gâter.

Et ils partirent ensemble. En chemin, ils croisèrent un cheval.

- Regarde-moi bien, dit l'ours au chien, en grattant la terre avec sa patte.

- Chien, chien !

- Mais quoi ?

- Regarde mes yeux. Ne sont-ils pas rouges de colère ?

- Oui, ils sont rouges, ours.

L'ours continuait à gratter la terre pour faire monter sa colère.

- Chien, chien ! Et ma fourrure n'est-elle pas hérissée de colère ?

- Bien sûr qu'elle est hérissée, ours !

- Chien, chien ! Et ma queue ne se dresse-t'elle pas de colère ?

- Mais si, elle se dresse !

Alors chargé de colère, l'ours bondit sur le cheval, s'agrippa à son flanc et le fit tomber à terre. Puis, il le lacéra de ses griffes et dit :

- Voilà chien, maintenant tu as de quoi manger autant que tu veux. Quand tu n'auras plus rien, viens me voir.

Le chien reprit goût à la vie, et il n'avait aucun regret. Quand il eut tout mangé et que la faim le reprit, il se précipita chez l'ours.

- Eh bien, mon frère, tu as tout mangé ?

- Oui, et la faim est revenue.

- Pourquoi jeûner ? Sais-tu où vos femmes vont cueillir les légumes.

- Bien sûr, je le sais !

- Alors, allons-y ! Je m'approcherai délicatement de ta maîtresse, et je lui subtiliserai son enfant dans le berceau. Toi, tu courras à mes trousses, et tu me le reprendras. Après cela, tu le rapporteras à sa mère et, tu verras, elle te redonnera ta pâtée comme avant.

C'était d'accord. L'ours accourut, s'approcha à pas de velours, et vola l'enfant dans son berceau. L'enfant hurlait, les nourrices se lancèrent à sa poursuite, mais en vain. Elles rebroussèrent finalement chemin. La mère pleurait, les femmes étaient torturées de tristesse. Venant d'on ne sait où, le chien se mit à l'ouvrage, il poursuivit l'ours, reprit l'enfant et le rapporta.

- Regardez, dirent les femmes, ce vieux chien rapporte l'enfant !

On courut à sa rencontre. La mère était pleine de joie.

- Désormais, dit-elle, pour rien au monde je ne me séparerai de ce chien !

Elle l'amena à la maison, lui versa du lait, lui coupa du pain et le lui donna :

- Allez, mange !

Et elle dit à son mari :

- Eh bien, non, mon époux! Tu n'aurais jamais du chasser notre chien. Il faut le garder et le nourrir. Il a sauvé notre enfant des griffes de l'ours. Et dire que tu disais qu'il n'avait plus de force !

Le chien se rétablit et prit même quelque embonpoint :

- Que Dieu protège l'ours, se disait-il, lui qui m'a sauvé de la faim.

Et l'ours devint son meilleur ami.

Un jour, le paysan organisa une fête chez lui. Profitant de cette occasion, l'ours rendit visite au chien.

- Salut, chien ! Comment vas-tu? Est-ce que tu es bien nourri ?

- Dieu soit béni ! Répondit le chien. Je vis des jours d'or et de soie. Me permets-tu de régaler? Allons dans l'isba. Mes maîtres font la fête. Ils ne verront pas que tu es là. Entre, et va tout de suite te cacher sous le fourneau. Moi j'irai te chercher quelque chose, et tu vas te régaler !

C'était d'accord. Ils pénétrèrent dans l'isba. Le chien vit que ses maîtres et leurs invités étaient complètement saouls. Il offrit à boire à son copain. L'ours avala un premier verre, puis un deuxième et but jusqu'à en perdre la tête. Les invités se mirent à chanter. L'ours avait aussi envie de pousser la chansonnette. Le chien eut beau le mettre en garde :

- Ne chante pas, tu vas avoir des ennuis !

Rien à faire ! L'ours ne pouvait plus se retenir, et, d'une voix puissante, il entonna une chanson à lui. Les invités entendirent ses hurlements, saisirent leur haches, et haro sur l'ours ! Celui-ci réussit à s'échapper de justesse, et il s'enfuit à moitié mort.

Le paysan avait aussi un chat. Ce vieux chat ne chassait plus les souris, il ne faisait plus que des bêtises : où qu'il grimpe, c'était pour casser quelque chose ou pour renverser une carafe. Le paysan le chassa de sa maison. Le chien vit comme le chat affamé était malheureux, et il se mit discrètement à lui apporter du pain et de la viande. La maîtresse de maison soupçonna son manège. Un jour, elle le prit sur le fait. Elle le roua de coups, et le sermonna :

- Surtout, n'apporte pas de viande à ce chat ! Et ne lui donne pas de pain, non plus !

Trois jours après, le chien sortit de la cour de la ferme et il rencontra le chat qui semblait mal en point :

- Qu'as-tu? Lui dit-il.

- Je meurs de faim. Jusqu'à présent, j'avais mon compte, tant que tu me nourrissais.

- Viens avec moi !

Et les voilà partis tous les deux. Le chien s'approcha d'un troupeau de chevaux et se mit à gratter le sol de sa patte pour se mettre en colère.

- Chat, chat, est-ce que j'ai les yeux rouges ?

- Pas vraiment. Répondit le chat.

- Dis-moi qu'ils sont rouges maintenant.

- Eh bien, ils sont rouges ! Concéda le chat.

- Chat, chat, et mon poil est-il bien dressé de colère ?

- Non, il n'est pas dressé.

- Imbécile, dis-moi qu'il se dresse !

- Bon d'accord, il se dresse.

- Chat, chat, et ma queue est-elle bien tendue ?

- Eh non, elle n'est pas tendue !

- Imbécile, dis-moi qu'elle est tendue !

- Bon, elle est tendue.

Alors convaincu qu'il avait en lui assez de colère, le chien s'élança contre une jument. Mais la jument lui donna un coup de sabot qui le projeta en arrière. Et il rendit l'âme. Alors le chat s'approcha et lui dit :

- Maintenant je peux te dire la vérité: tes yeux sont rouges de sang, ton poil est hérissé et ta queue est toute tendue. Adieu, chien, mon frère. Moi aussi, je vais mourir.